L’interdépendance des contrats, la force obligatoire et la faute des parties

Aux termes de l’article 1103 du Code civil, « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Ainsi, en principe, et sous réserve de dispositions contraires d’ordre public quant à la teneur de certains engagements, la loi des parties, formalisée par le contrat, est intangible. Pourtant, un mot fait trembler les plaideurs depuis une dizaine d’années : l’interdépendance des contrats.

De construction jurisprudentielle, ce principe veut que les conventions appartenant à un même ensemble contractuel soient considérées comme dépendantes les unes des autres avec la conséquence suivante : l’anéantissement de l’un des contrats de l’ensemble emporte la caducité des autres. Ce principe a d’ailleurs été consacré par l’article 1186 du Code civil, issu de la réforme du droit des obligations.

Prenons un exemple courant :

Une société fait appel à un fournisseur A de matériel informatique. Le matériel est financé par une société de location financière qui loue le matériel à la société cliente, tandis que le fournisseur A conclut, avec cette même société, un contrat de maintenance du matériel. Les contrats de cette nature sont généralement de 5 années.

Vers le milieu de la 4ème année contractuelle, un fournisseur B se présente au client pour lui proposer ses services. Il va donc soumettre au client une proposition pour de nouveaux matériels, avec un nouveau contrat de location, en proposant éventuellement, à titre commercial, de participer au solde du contrat de location encore en cours. L’affaire se conclut, le client résilie son contrat de location financière par anticipation avec la participation éventuelle du fournisseur B puis annonce au fournisseur A que le contrat de maintenance les liant prend fin, invoquant fort judicieusement l’interdépendance des contrats.

La solution semble injuste pour le fournisseur A : il a négocié un contrat de maintenance avec son client, d’une durée ferme, et a toujours exécuté ses obligations. Et pourtant, la loi permet à présent à son client de rompre d’une certaine manière le contrat conclu, en dépit des engagements pris, sans en être, a priori, inquiété.

A ce stade, l’on notera que la société de location financière peut également se retrouver dans la situation du fournisseur A si c’est finalement le contrat de maintenance qui a été résilié et la caducité du contrat de location qui est opposée par la suite.

Ainsi, l’interdépendance des contrats, appliquée en dehors de toute notion d’inexécution contractuelle, peut constituer un moyen de contourner la force obligatoire d’un contrat, mettant au passage à mal la notion de bonne foi dans l’exécution des contrats.

Par deux arrêts rendus le 12 juillet 2017 (n° 15-23.552, n° 15-27.703), la Cour de cassation est venue préciser que « la résiliation de l’un quelconque d’entre eux [i.e des contrats d’un ensemble contractuel] entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute ».

A ainsi émergé la notion de faute dans le cadre de l’anéantissement d’un ensemble contractuel. Se pose dès lors la question de savoir si la partie qui a résilié l’un de ses contrats puis sollicité ensuite la caducité du second alors que ni le prestataire ni le bailleur n’étaient en tort, peut être considérée comme fautive et dès lors condamnée à indemniser ses anciens co-contractants.

La jurisprudence semble encore hésitante sur le sujet et très peu de décisions sont intervenus sur la question de la faute de la partie qui a résilié ses contrats par pure convenance. Une décision a cependant retenu notre attention, à savoir un arrêt de la Cour d’appel de Versailles en date du 18 décembre 2018 (RG n°17/04521), après renvoi de la Cour de cassation.

En l’espèce, le client a pris en location un système audiovisuel dont un prestataire devait assurer la maintenance. Considérant que le prestataire n’exécutait pas correctement ses obligations, le client a décidé de procéder à la résiliation de son contrat de prestation et a ensuite cessé de régler ses loyers auprès du bailleur.

In fine, les juges ont considéré que les contrats de maintenance et de location étaient interdépendants et que la résiliation du contrat de maintenance emportait la caducité du contrat de location. Il a également été jugé que le contrat de maintenance avait été résilié aux torts du client, qui n’a pas rapporté la preuve des manquements de son prestataire.

Il revenait alors à la Cour d’appel de tirer les conséquences de la caducité du contrat de location entre le client et le bailleur. Le contrat de maintenance ayant été résilié aux torts du client, la Cour a considéré que cette résiliation était infondée et fautive, et que le client à l’origine de l’anéantissement était tenu d’indemniser le bailleur de son préjudice.

Afin d’évaluer le préjudice subi, la Cour a pris en considération les sommes que le bailleur aurait dû percevoir si le contrat n’avait pas été frappé de caducité (loyers échus et non réglés), en diminuant le montant ainsi obtenu de la valeur estimée des matériels lors de leur restitution.

Nous pouvons dès lors probablement conclure de cet arrêt que la résiliation fautive par le client doit conduire ce dernier à indemniser le préjudice causé par sa faute.

Toutefois, cet arrêt semble être un arrêt d’espèce, ce qui relativise sa portée. En outre, d’autres questions restent en suspens : en l’espèce, le client a résilié en se prévalant de manquements de son prestataire et la résiliation a été considérée comme injustifiée. La solution aurait-elle été identique en cas de résiliation par pure convenance ? Doit-on en effet considérer qu’une résiliation d’un contrat entraînant ensuite la caducité d’un second contrat, est fautive ? Et comment est indemnisé le préjudice à l’égard du prestataire de maintenance ?

Ces questions renvoient à la problématique bien connue de la clause pénale : si les clauses mettant à la charge du client indélicat le règlement de l’intégralité des loyers qu’il aurait dû payer en menant le contrat jusqu’à son terme sont souvent considérées comme équilibrées, les clauses indemnitaires des contrats de services sont souvent sujettes à débat et largement diminuées.

En l’occurrence, même si le contrat caduc ne s’applique plus, ces clauses indemnitaires servent de base à un calcul de préjudice. Il est toutefois difficile de prédire si les sociétés de services réussiront, dans de telles situations, à obtenir une indemnisation convenable de leur préjudice.

L’avenir et la jurisprudence nous le diront mais dans l’intervalle force est de constater que la force obligatoire du contrat est en recul face à l’interdépendance des contrats.

Le cabinet OCTAAV reste attentif à l’évolution de la jurisprudence en la matière et se tient à disposition de ses clients, confrontés à de cette problématique, afin d’élaborer une stratégie optimisant leurs chances d’être indemnisés de leur préjudice dans une telle situation.